Maisons de l’emploi : ne pas se tromper de « combat » !

Publié le par Jacques Planchon, directeur d'une maison de l'emploi

Dans le débat récurrent sur les moyens alloués aux maisons de l’emploi, il est utile d’établir, basiquement, les faits.

On voit bien, en suivant les actuelles joutes parlementaires sur l’abondement des crédits, que la référence aux « actions complémentaires de GPTEC » est trop technique, trop abstraite. En ce sens l’opération de déstabilisation mise en place dans le cadre du PLF 2014 a pleinement atteint son objectif…

La réalité de la réduction de moyens subie par les maisons de l’emploi et de son impact peut être difficiles à apprécier dans ces conditions, vu de l’extérieur, surtout lorsque l’on invoque les « économies » réalisées suite à la fermeture d’un certain nombre de MDE.

Rapportées à l’échelle du fonctionnement d’une MDE, les choses sont claires et nettes. Dans le cas de la MdEF de la Nièvre (qui n’est pas la plus mal lotie… ) cela s’illustre très facilement :

Petit récapitulatif de l’évolution du financement de l’Etat pour la MdEF de la Nièvre :

2011 : 570 000 €

2012 : 460 000 €

2013 : 460 000 €

2014 : 230 000 + 90 000 = 320 000 €

2015 : 230 000 € (si rien ne change, naturellement)

On assiste bel et bien cette année à une nouvelle réduction significative par rapport à l’année dernière, et – 50% au total sur deux ans (sans parler des réductions antérieures).

Il faut le dire : dans le cadre d’un budget « Travail et Emploi » en augmentation, les MDE ne paient pas le prix d’un effort partagé. Elles sont bel et bien les victimes d’une entreprise de destruction délibérée.

A partir de là quel argumentaire faut-il déployer ?

La menace des licenciements est à manier avec précaution. La problématique des maisons de l’emploi est tout sauf une problématique, classique, de « boutique ». Même s’il n’est pas question, naturellement, de se désintéresser du sort des équipes !

Il est important de traiter des questions de fond, relatives à la nature de notre intervention d’une part, à la nature de notre gouvernance, d’autre part.

Les maisons de l’emploi exercent des fonctions d’animation territoriale et d’ingénierie qu’aucune autre instance n’est en mesure d’assumer. Cette intervention est assurément vécue comme nécessaire, voire indispensable, sur le terrain. Nous en recueillons, chaque jour, de multiples témoignages.

Il faut le marteler et ne jamais céder sur ce point : la maison de l’emploi n’est ni « un acteur de plus » ni « un opérateur lambda ». Elle est une émanation de la puissance publique dédiée à la coordination du service public de l’emploi (intitulé du chapitre du PLF).

Est-ce que dans la réalité ce travail de coordination est devenu inutile ? Sinon quelle autre instance est susceptible, aujourd’hui, de réaliser ce travail : Pôle emploi, les services de l’Etat eux-mêmes ? Y a-t-il eu dans ce cas une évaluation de la dernière réforme du SPE (SPEL animés par les sous-préfets, etc) ?

Le problème, vu sous cet angle, c’est que si la dynamique patiemment créée s’arrête, il sera très difficile, voire impossible à court terme, de la relancer…

Or quel est le véritable problème créé par les réductions budgétaires ? C’est moins le niveau de ces réductions (quoique… ) que la répétition de ces dernières, qui est problématique, avec ses multiples incidences.

Il y a d’abord le doute que ces remises en cause sème chez les professionnels eux-mêmes, avec ses effets démotivants, voire démoralisants. Sans parler de l’effet « roulette russe » pour les salariés qui voient leurs collègues partir, chaque année, en se demandant à quel moment leur tour viendra… D’autres structures, d’autres entreprises connaissent ce phénomène. Il est d’autant plus troublant à vivre dans des équipes mobilisées pour l’emploi, et alors même que le travail est difficile, ingrat, délicat à mettre en évidence.

Comment comprendre que cette intervention ne soit pas reconnue par le principal donneur d’ordres, alors même qu’elle commence à porter ses fruits sur le terrain, après quelques années d’un travail patient et acharné ?

Il y a aussi la perturbation réelle créée dans le fonctionnement, mesurable à l’aune du temps passé à anticiper et aussi à résoudre les problèmes posés.

Soyons précis sur ce point, et prenons l’exemple de la période 2013-2015, en considérant :

Une première phase, entre l’annonce du PLF 2014 (début octobre 2013), la confirmation du montant global de la subvention de l’Etat (mars 2014), le bouclage du dossier relatif aux actions complémentaires (fin mai).

Combien de temps passé à :

- rechercher et négocier des compensations financières ?

- réviser les budgets prévisionnels, anticiper et « gérer » les conséquences, c’est-à-dire annoncer l’arrêt de contributions financières à certains partenaires et aider à amortir leurs conséquences, négocier le départ de salariés, anticiper les conséquences en termes de répartition de la charge de travail auprès de celles et ceux qui restent, ou de réorganisation au détriment de certaines composantes du plan d’action… ?

Une deuxième phase, entre l’annonce du PLF 2015, mi-octobre 2014, et….

Rebelote… Et dans le même temps il faudra bien sûr faire le bilan non seulement de l’année 2014, mais aussi celui de la convention pluriannuelle d’objectifs 2011-2014.

Ah oui : Il faudra également montrer que l’on a obtenu des résultats dans le cadre des fameuses « actions complémentaires » mises en place (à titre rétroactif) au titre de l’amendement obtenu de haute lutte par les députés…

Et là encore, à en juger par les échanges au sein du réseau, la MdEF de la Nièvre est loin d’être la plus mal lotie…

Si ce n’est pas du gâchis organisé…

Il faut enfin prendre en compte les crispations que ces annonces négatives engendrent au sein de la gouvernance. Combien, là aussi, de temps passé à évoquer les problèmes budgétaires, et naturellement à traiter ces problèmes dans le cadre des instances statutaires, alors qu’il faudrait en consacrer davantage à l’orientation de l’action ?!

Là est, de mon point de vue, le cœur du sujet, délaissé parce que complexe.

Essayons d’amorcer cette réflexion.

Il est objectivement difficile, pour des responsables de l’administration centrale comme pour des cadres des DIRECCTE, de se représenter le fonctionnement de la gouvernance tripartite d’une maison de l’emploi, avec ses implications et ses exigences pour des agents de l’Etat, en tenant compte des multiples nuances liées à la variété des configurations. De ce point de vue il est évident que le pilotage d’une MDE départementale est différent de celui d’une MDE plus « locale ».

Il est difficile pour les services de l’Etat d’adopter une posture adéquate dans un tel contexte : à l’écart du contrôle a priori, avec le souci de négocier des objectifs à atteindre avec des élus ou des responsables de collectivités. Sans oublier le minimum d’acculturation nécessaire, à la base, de la logique de projet.

La maison de l’emploi, c’est à bien des égards un « choc de cultures ». Ce phénomène doit être appréhendé et traité en tant que tel. Toutes les directions de maisons de l’emploi, toutes les équipes, y sont confrontées. Combien sont réellement armés pour accompagner ce mouvement et faciliter les indispensables apprentissages, collectifs et culturels, auprès de leurs interlocuteurs ?

On voit bien, à ce sujet, qu’une véritable compréhension partagée de ce qu’est la maison de l’emploi ne peut résulter – ou du moins pas uniquement – d’une évaluation externe globale du réseau. Celle-ci ne peut que renvoyer une image d’hétérogénéité.

Cet enjeu de compréhension passe au moins autant par un intense travail de « défense et illustration », par le réseau, de ce qui constitue la véritable spécificité des MDE dans le champ emploi-formation-insertion-développement : le travail collaboratif et la coopération.

Avec tout ce que cela représente en termes d’exigences, non seulement pour les équipes, mais pour les gouvernances, du bas en haut de l’échelle.

Il ne faudrait pas oublier qu’avant d’être une machine à tricoter de l’ingénierie et des financements, la maison de l’emploi est une force de frappe collaborative. Le lieu du mariage de différentes sources de légitimité au profit d’une action publique renouvelée.

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