Emploi et territoires. 1. Ne passons pas à côté des choses simples !

Publié le par Jacques Planchon, directeur d'une maison de l'emploi

Que vaut une action en faveur de l’emploi si elle n’est pas menée au plus près de l’activité telle qu’elle s’exerce réellement dans les entreprises, dans les collectivités, dans les associations ?

Essayons de tirer, de ce point de vue, un premier enseignement des trois premières années de mise en œuvre d’une démarche de gestion anticipée des compétences et des emplois dans les territoires d’un département.

Cette démarche inspirée par Agefos-PME se veut globale, et systémique. Si elle concerne naturellement les demandeurs d’emploi et plus largement les actifs, ainsi que les professionnels qui les accompagnent, elle s’est intéressée dans un premier temps aux employeurs.

Nous sommes dans un pays de grande ruralité, de petites villes, et de très petites entreprises (de 0 à quelques dizaines, au plus, de salariés, à quelques exceptions près). Ici, pas ou peu de « responsables des ressources humaines ».

Dans un tel contexte de quoi ont besoin les chefs d’entreprises ?

De la même chose que les demandeurs d’emploi !

Avant toute chose les chefs d’entreprise ont besoin d’être écoutés.

Il faut se méfier des fausses évidences : la grande majorité des entreprises sont très peu visitées, voire seulement contactées par des professionnels de l’emploi et de la formation. Combien d’employeurs ont de véritables interlocuteurs dans ce domaine. Ne serait-ce qu’un(e) correspondant(e) de leur organisme collecteur des fonds de la formation professionnelle (OPCA) ?

Qui va à la rencontre des employeurs pour les écouter afin de comprendre la problématique de leurs entreprises dans leurs composantes humaines ?

Les techniciens des services consulaires interviennent sur des aspects règlementaires, financiers ou technologiques. Ils font rarement le lien avec l’emploi. Ils se positionnent en fournisseurs. Ils sont de moins en moins présents sur le terrain. Il y a, bien sûr, des exceptions.

Les services publics liés à l’emploi, lorsqu’ils font de la « relation entreprise », ne sollicitent les employeurs - le plus souvent - que comme des prospects susceptibles de souscrire à telle « mesure pour l’emploi », ou d’accueillir tel demandeur d’emploi considéré comme prioritaire. En général ils appliquent des procédures – dont certaines continuent à faire leurs preuves – issues d’un traitement « de masse ».

Les agences d'intérim, peu nombreuses, se bornent le plus souvent à répondre aux commandes de leurs donneurs d'ordres habituels.

Les organismes de formation prestataires de la commande publique font volontiers du « forcing » pour placer leurs stagiaires pour des « périodes en entreprise », au coude-à-coude avec les établissements scolaires…

L’expert-comptable raisonne essentiellement, dans ce domaine, en termes de « charges financières ». Il ne peut, dans le meilleur des cas, que pallier certains manques avec plus ou moins de bonheur, et quoiqu’il en soit en dehors de son champ de compétences.

Le contexte dans lequel s’exerce l’activité, les caractéristiques elles-mêmes de cette activité, les gestes et les comportements qu’elle requière, n’intéressent pas vraiment ces interlocuteurs, tous plus ou moins épisodiques. Ce n’est pas seulement une question de disponibilité, ou de pression exercée pour l’obtention de résultats à court terme. C’est aussi un problème de posture. La « relation client » est de moins en moins, de nos jours, une affaire d’empathie et de temps passé à observer et à dialoguer, in situ. Ce sont pourtant les seules dispositions qui permettent de comprendre le besoin pour espérer réussir un appariement dans la durée. C’est le meilleur moyen pour révéler d’éventuelles récurrences dans les besoins identifiés auprès de plusieurs employeurs d’un même territoire, et pour engager un travail d’anticipation.

D’où vient, sinon, que le recrutement et la formation deviennent des « problèmes », au même titre que d’autres doléances exprimées auprès des élus ou du sous-préfet ? D’où viennent les malentendus fréquemment révélés, de part et d’autre, avec les services publics de l’emploi ?

Pourquoi évoque-ton, comme autant de généralités, des « tensions » jamais totalement résolues sur le marché du travail, dans certains secteurs d’activité ?

Ne voit-on pas qu’un besoin doit avant tout être situé pour être qualifié ?

Confrontés dans bien des cas à des formulaires, invités à cocher des cases, la majorité des employeurs ne font que reproduire les cadres et les critères qui leur sont proposés. Après tout, exprimer des difficultés à recruter parce que les besoins sont « très spécifiques », afficher une offre à « bac + 5 » quand un bon(ne) technicien(ne) - même non diplômé(e) - ferait l’affaire, c’est aussi une façon de valoriser son entreprise ou sa corporation.

A partir de là tous les stéréotypes, même les plus contradictoires, peuvent avoir cours : « le recrutement est une loterie », « les jeunes ne sont pas motivés » ou « les gens ne veulent plus travailler ». Sans oublier, pour faire bonne mesure, les considérations sur la réputation de certaines familles enracinées localement, ainsi qu’une forme d’auto-dévalorisation : « il n’y a que des bons à rien ici, les meilleurs sont partis depuis longtemps ! »…

Les employeurs ont besoin d’être accompagnés (éventuellement) et rassurés (surtout)

Le travail et l’emploi sont des domaines dans lesquels certaines représentations ont la vie dure… Pour ouvrir des perspectives à l’employeur, pour faire en sorte que l’entrepreneur ne cherche pas qu’à recruter son « clone », il faut en premier lieu du temps et du dialogue, avec une vraie capacité d’écoute.

Contrairement à une croyance répandue, les chefs d’entreprises sont volontiers prêts à accorder du temps aux professionnels de la sphère publique ou de l’interprofession lorsqu’une relation est établie, qu’ils mesurent l’intérêt de prendre du recul sur ces questions, et qu’on leur laisse entrevoir un début de solution aux problèmes qu’ils se posent.

Globalement les chefs d’entreprises sont des gens comme les autres ! Si ce sont assurément des spécialistes dans leur domaine professionnel, ils admettent volontiers l’utilité de prendre du recul pour analyser leurs « vrais » besoins au regard de l’enjeu que représente un recrutement. Ils peuvent d’autant mieux comprendre qu’une réponse ne leur soit pas donnée immédiatement qu’ils ne sont pas sollicités si souvent que ça. N’est-ce pas plutôt rassurant de constater qu’un(e) professionnel(le) prend le temps d’écouter et de comprendre la problématique avant d’apporter un service ?

Les professionnels en question peuvent-ils faire évoluer leur posture ? Sans aucun doute. Ont-ils les moyens d’agir autrement ? En partie sûrement, même si rien n’est certain dans le contexte actuel. Ont-ils intérêt à le faire ? A titre individuel, peut-être pas. Collectivement et avec d’autres, dans un esprit de service au public et au territoire, certainement.

A trop segmenter les « publics » et les problèmes, à trop fonctionner l’œil rivé sur des indicateurs dont l’amalgame, à l’échelon national, est totalement dépourvu de sens, on oublie l’essentiel : le développement économique local et la cohésion sociale sont des enjeux étroitement imbriqués.

C’est aujourd’hui un fait. Dans de nombreux territoires les chefs d’entreprise ne peuvent plus compter sur des recrutements extérieurs pour maintenir leur outil de production. Ceux qui arrivent à la retraite ont tellement de mal à trouver preneur que cela en devient dramatique.

La problématique de l’attractivité des territoires, de leur capacité à permettre l’épanouissement des « modes de vie » des candidats à l’installation, est à l’ordre du jour. Elle n’est pas incompatible avec le développement de la capacité de ces mêmes territoires à insérer durablement des jeunes qui n’ont pas la volonté ou la ressource de migrer, et à accompagner les actifs qui résident ici et maintenant dans leurs efforts pour une mobilité professionnelle ou un retour à l’emploi réussis.

Il est essentiel, pour toutes ces raisons, d’inscrire les entreprises dans les démarches de développement local et d’aménagement du territoire.

Nous explorons pour notre part toutes les pistes de coopération et de travail en réseau entre les professionnels de l’emploi et les chargés de développement qui sont présents, avec des profils qui peuvent être variés, dans toutes les intercommunalités et toutes les instances qui en émanent.

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