Animer une Maison de l’emploi : un sport de combat (bis)) !

Publié le par Jacques Planchon, Directeur d'une Maison de l'Emploi

Presque la mi-mai. Nous sommes encore en train de "gérer" l'une des conséquences de la réduction budgétaire, en l'occurrence la rupture d'un contrat de travail. Je n'entre pas dans les détails, mais un GIP qui emploie des salariés sous contrat de droit privé s'expose à bien des difficultés lorsque les ressources viennent à manquer...

Dans le même temps on nous demande des précisions sur le dossier complémentaire déposé pour obtenir la totalité du financement, quand même réduit de 30% par rapport à 2013. Il s'agit du prévisionnel d'une action qui est censée évidemment avoir démarré, en réalité, depuis plus de 4 mois... Il faut revoir les prévisions de dépenses, et notamment l'estimation du temps de travail à consacrer par l'équipe ressource, etc.

Je me sens obligé de faire remarquer à nos interlocuteurs que nous n'avions pas prévu, en préparant le budget prévisionnel de la maison de l'emploi, de consacrer autant d'heures à la recherche de solutions - et aux démarches diverses - pour répondre à la modification des règles annoncée en décembre 2013, et amortir la réduction annoncée en octobre 2013 et précisée en mars 2014, avec toutes les "réjouissances" liées à la décision évoquée au début...

Dans le même temps, toujours, nous apprenons une nouvelle fermeture de maison de l'emploi... Son président déclare à la presse que "les subventions de l'Etat vont cesser définitivement en 2015". Encore un détenteur de boule de cristal ? Il est vrai que si nous avions écouté certains responsables, nous aurions tous fermé depuis au moins 6 ans...

Il y a quelques jours j'expliquais la situation des maisons de l'emploi à notre banquière : je vous jure qu'elle a eu du mal à me croire !

Autant de raisons de rééditer, ci-dessous, l'article "fondateur" de ce blog.

----------------------------------

Dans les réflexions qui portent sur les politiques de l’emploi, et plus largement sur la modernisation de l’action publique, il faut parler des maisons de l’emploi. Mais attention, c’est un sujet controversé ! Certains se disent (souvent depuis le début… ) : va-t-on en finir avec ces « machins » qui doublonnent avec Pôle emploi, et dont on se demande bien quelle est la « valeur ajoutée » ? On évoque les "travaux assez abstraits auxquels (les maisons de l’emploi) se consacrent". On fait beaucoup d’amalgames ou de confusions. Et puis aussi on oublie, trop vite.

Mon propos n’est pas de faire valoir je ne sais quelle « défense et illustration » des maisons de l’emploi en général. Il est d’attirer l’attention sur la fonction particulière de ce réseau au sein des services publics de l’emploi. Il est de parler d’une certaine façon de vivre la maison de l’emploi pour coller à la vocation profonde de cette politique publique d’un genre nouveau.

De quoi s’agit-il au fond ? Avec les maisons de l’emploi l’Etat donne la main (et des moyens) aux collectivités qui le souhaitent pour élaborer et mettre en œuvre, avec les principaux responsables des politiques de l’emploi, une stratégie locale. Agglomérations ou intercommunalités, Pays ou départements peuvent de la sorte donner une impulsion aux actions en faveur de l’emploi, et aussi d’une certaine façon organiser, sur leur territoire, les services publics liés à l’emploi.

De fait, si elles s’attachent à leur mission telle qu’elle est définie, les maisons de l’emploi peuvent être de puissants leviers pour décloisonner les services publics et fluidifier le marché du travail localement. Elles sont faites pour répondre au besoin de coordination exprimé à cor et à cri depuis des décennies. Elles assurent, effectivement ou potentiellement, là où elles se trouvent, cette « jonction de l’emploi, de l’économique et du social » tant désirée.

Encore faut-il considérer leur activité autrement qu’avec les prismes habituels. Rien n’est moins logique en effet que de chercher à mesurer la « valeur ajoutée » des maisons de l’emploi à l’aune d’un dispositif à visée directement opérationnelle ou de service, comme par exemple Pôle Emploi.

Il faut le souligner : la « valeur ajoutée » d’une maison de l’emploi ne peut être que le reflet de la qualité d’une action collective et donc, sous-entendu, de l’implication de chacun des acteurs qui la constituent. Si les maisons de l’emploi ne sauraient être désignées comme responsables de la complexité des dispositifs ou des éventuels dysfonctionnements des services, leur vocation est bel et bien, d’une certaine façon, de les prendre en charge. Avec un risque que l’on pourrait sous-estimer : celui d’apparaître ici ou là, aux yeux de certains responsables, comme une sorte de "mauvaise conscience" difficile à assumer…

Cela dit la greffe de cette politique publique ambitieuse et innovante à plus d’un titre n’a pas pris partout, loin s’en faut. Et nombreux sont les éléments qui brouillent, depuis le lancement du programme national, la perception de ce que sont les maisons de l’emploi.

Quiconque se demande si les deniers publics sont bien employés dans les maisons de l’emploi, doit en premier lieu prendre la mesure du véritable gâchis que révèle la courte histoire du programme. Créées progressivement à partir de 2005, les maisons de l’emploi ont subi en effet de multiples avanies : « gel » du programme dès 2007, nouveau cahier des charges en 2009, avenant en 2013, réductions budgétaires en 2011, 2012, puis à nouveau en 2014… Est-ce bien raisonnable ?

Avec une couverture géographique inachevée le réseau apparaît toujours, d’une certaine façon, expérimental. Il est d’ailleurs, par nature, hétérogène. Les configurations adoptées, les impulsions données sont, d’une maison de l’emploi à l’autre, très diverses. Il y a celles qui intègrent des services, et il y a les autres. Il y a celles qui ont de vrais moyens d’action, celles qui ont pignon sur rue, et celles qui ne disposent que d’1 à 1,5 équivalent temps plein pour animer un plan d’action… Combien de maisons de l’emploi peuvent encore être considérées comme viables aujourd’hui ?

Pourtant il faut (sans doute) le proclamer : aucun « choc de simplification » ne saurait être produit dans le domaine des services à l’économie et à l’emploi sans un accompagnement rapproché de tous les acteurs concernés dans les multiples changements – de perspective, de posture, de pratiques, etc - qu’ils ont à accomplir pour faire face ensemble aux mutations du travail et de l’emploi.

Cela suppose une orientation claire, partagée et affirmée. C’est le défi des gouvernances des maisons de l’emploi, selon la latitude qui leur est donnée, et surtout selon l’attitude qu’elles adoptent. Car il ne faut pas craindre de l’affirmer : la Maison de l’Emploi n’est pas et ne saurait être « un acteur parmi les autres ». Sa vocation profonde est d’apparaître sur son territoire comme le lieu de la concertation, de la mobilisation, du pilotage et de l’évaluation de l’action en faveur de l’emploi. Combien d’élus locaux, combien de responsables des services de l’Etat sont allés au bout de cette logique ? Sur la base de quel consensus véritable avec les autres collectivités concernées ? Si certains s’efforcent de jouer ce rôle de pilote, d’autres n’en sont pas là, ou pas encore. Faut-il blâmer d’ailleurs celles et ceux qui, dans le contexte qui a été rappelé, ont été tentés d’adopter des positions d’attente, voire de recul ?

Il faut du temps, et aussi de la chance, pour atteindre le minimum de maturité nécessaire à cet exercice inédit que représente l’animation de la gouvernance tripartite (collectivité – Etat – Pôle emploi) de rigueur dans la maison de l’emploi. Croyez-vous que cela s’improvise ? Pensez-vous que ces gens de cultures différentes ont spontanément admis de - et facilement appris à - travailler ensemble ? Les plus anciennes parmi les maisons de l’emploi labellisées puis conventionnées par l’Etat ont à peine atteint « l’âge de raison ». Pour autant songez aux bouleversements qui ont, avec la RGPP et la fusion ANPE - Assédic, affecté deux des trois principales composantes de leurs gouvernances au moment précis où elles commençaient, éventuellement, à s’approprier l’ « objet maison de l’emploi » !

Avec le déploiement de nouveaux outils de gestion, avec la prolifération des mesures et dispositifs, avec la pression créée par l’augmentation du chômage, il n’y a jamais eu ces dernières années autant de concurrence entre les membres de ce que l’on a coutume d’appeler le « Service public de l’emploi »… Pourtant de nombreux exemples de complémentarités assumées, d’articulations voire d’intégration réussies (démarches de revitalisation, plans locaux pour l’insertion et l’emploi, etc), prouvent que les maisons de l’emploi réalisent une alchimie manifestement utile sur le moment, et prometteuse pour l’avenir[4]. Un réseau d’acteurs locaux capable d’analyser la situation et de prendre en charge les besoins identifiés vaut, assurément, tous les « qui fait quoi ? » du monde. Mais de telles mécaniques ne se mettent pas en place du jour au lendemain. Celles qui fonctionnent ne devraient-elles pas être encouragées et soutenues, au lieu d’être perpétuellement déstabilisées voire maltraitées ?

Car tel est bien ce que ressentent les équipes, alors même qu’elles s’efforcent de rester « à leur place » sur le terrain, c’est-à-dire dans l’accompagnement des acteurs dans des démarches qui visent autant le domaine des services, de l’insertion à la sécurisation des parcours des individus, que les champs de l’économie, de l’entreprise et du développement local. Mettre en place des organisations qui visent à améliorer la lisibilité des dispositifs ou de l’offre existante, en faciliter l’accès aussi, sont leurs préoccupations constantes. Car il faut être clair : une maison de l’emploi ne saurait adopter un autre point de vue que celui de l’usager ou du chef d’entreprise.

Si le principe est simple, sa mise en œuvre est complexe. Cela suppose une approche systémique de l’environnement et un fonctionnement en mode projet, exigeants dans un contexte où peu d’opérateurs agissent de la sorte. Avec de la méthode et aussi ce qu’il faut de pragmatisme, d’énergie et d’opiniâtreté aussi, d’écoute et d’humilité certainement, les équipes ont appris leur métier « sur le tas ». Elles méritent d’être professionnalisées dans le « bon sens » : celui de la nouveauté de fonctions non assurées, ou insuffisamment, dans ces milieux, au lieu d’être incitées au reclassement parmi les opérateurs « classiques »... En plus de celles qui sont liées à l’information, à la communication et à l’ingénierie de projet, les activités de ces professionnels d’un genre nouveau sont volontiers empruntées aux « gentils organisateurs » ou aux « community manager » que l’on connaît dans d’autres domaines. Les chargés de missions savent aussi se transformer en de véritables « Mac Gyver » pour bricoler des passerelles entre dispositifs lorsque c’est utile. Leur imagination est fortement sollicitée lorsqu’il s’agit d’accompagner les acteurs locaux dans les apprentissages (collectifs, culturels, organisationnels) nécessaires pour investir le champ de l’innovation et des nouvelles pratiques : formation ouverte et à distance, gestion de l’emploi et des compétences dans les territoires, services d’information en ligne basés sur des systèmes partagés, etc.

Disons-le : animer une maison de l’emploi en agissant avant tout sur la coordination de l’existant, au milieu des autres professionnels, est ce qu’on peut appeler « un boulot de chien ». Difficile et aussi ingrat, car le plus souvent invisible, ce type d’intervention n’est pas facile à retraduire. L’expérience vécue au quotidien est de fait irracontable par certains aspects, au sens propre comme au figuré…

Mais qu’importe que les maisons de l’emploi ne soient pas connues du « grand public ». Elles n’ont pas a priori à se poser des problèmes d’identité. Leur structure est faite pour muter, car l’important pour elles est d’être dans le mouvement, pour mieux l’accompagner. Leur efficacité réside en grande partie dans le fait de cultiver une capacité à demeurer à l’arrière-plan, ne serait-ce que pour ne pas « en rajouter une couche ». Avec les risques que cela comporte dans un monde de communicants… Nous visons bel et bien la co-construction et l’appropriation, par les professionnels et les acteurs locaux, de pratiques plus aptes à répondre aux besoins. Or le meilleur signe de l’appropriation réussie ou du changement accompli n’est-il pas l’oubli de l’interaction créée ou de l’impulsion donnée ?

Au final, on le voit : les valeurs des maisons de l’emploi sont ailleurs que dans les dispositifs habituels. Elles sont de celles que l’on doit prendre à bras le corps et cultiver, ce que gouvernances et équipes ne font pas toujours, ou pas assez, par manque de perception ou à cause des difficultés, de la pression à l’obtention de résultats sur le court terme, etc.

Cette posture interventionniste ou « militante », nous sommes quelques-un(e)s à la revendiquer, avec le maintien d’une vraie capacité à conduire des projets et à mobiliser des moyens supplémentaires utilement. Nos ambitions ? Contribuer à la refondation du Service public de l’emploi en travaillant localement à son articulation avec les nouveaux services publics de la formation et de l’orientation. Favoriser dans le même temps, chaque fois que cela est possible, la mise en place ou l’acclimatation de formes mixtes (public / privé) d’intervention en faveur de l’emploi pour renforcer la cohésion sociale dans les territoires.

Nous n’avons pas envie de voir l’une des politiques publiques les plus porteuses d’innovation de ces dernières années caricaturée à l’extrême. Car nous en sommes certains : si les maisons de l’emploi telles que nous les vivons ne devaient plus fonctionner, fut-ce sous un autre nom, il faudrait s’empresser de les réinventer !

le logo officiel

le logo officiel

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article